La charte du botaniste : pour une bonne conduite

Publié le : 31 juillet 202012 mins de lecture
Le présent texte ne vise ni à donner des leçons ni à édicter des règles de conduite, simplement à tresser un tissu à personnaliser en fonction de ses convictions et connaissances.

À l’heure où aller en nature est devenu un mode de consommation, un loisir, à l’impact localement non négligeable, il convient de réfléchir à ses comportements ; chacun pour soi, sans imposer, mais sans baisser les bras. N’oubliez jamais que vous n’êtes pas le seul à sortir et à circuler, même si d’autres n’ont pas vos goûts ! Mais n’oubliez pas non plus que la pression humaine était localement bien plus forte il y a un siècle, quand les campagnes étaient dix fois plus peuplées.
Réf. 100929-189.
Euphorbe péplis. Cette plante protégée peut sembler fragile. Il n’en est rien. Elle pousse dans la dune mouvante, son ennemi est la disparition de la dune, due à sa stabilisaiton et au béton.
euphorbia-peplis-euphorbe-peplis

Le botaniste marche un peu partout, souvent hors sentier, donc sur de nombreuses propriétés privées. La règle de base est le respect et la courtoisie. En outre, sans s’en apercevoir, il peut déranger la faune, abîmer un milieu (tourbière) ou mettre en péril la survie d’espèces (qu’il ne connaît pas forcément). Se renseigner, écouter et apprendre sont donc essentiels.

Aimer la nature est aussi aimer ses habitants, d’autant plus que la présence de bien des espèces (si ce n’est toutes) leur est liée. Établir de bons rapports avec eux est important. Consommer localement, dans une épicerie ou une boulangerie, ou à une terrasse de café, incite les habitants à voir les touristes comme une chance plutôt que comme un désagrément, et vous permettra peut-être de faire des rencontres agréables ou d’obtenir des renseignements ; si les informations données par des locaux non spécialistes sont pour la plupart fantaisistes, vous apprendrez au moins un nom local ou une tradition culinaire.

Même si vous estimez (à juste titre) que l’agriculteur (de montagne) vit sur des subventions que vous contribuez à payer, il y a d’autres arguments et, surtout, la nature n’est pas le lieu de telles discussions. Que vous ayez tort ou raison, aucune importance, de bons rapports humains ont plus de valeur sur le terrain. Quand vous faites de la botanique, ou toute autre activité dans la nature, vous n’êtes pas quelqu’un de spécial, qui aurait des droits : vous êtes juste un consommateur.

Avoir conscience que même en aimant la nature on n’en est finalement qu’un consommateur aide à avoir les idées claires. Il en découle que limiter son impact est un souci constant, sans pour autant culpabiliser ou tomber dans des excès. À l’inverse, ce n’est pas parce que votre impact est faible, chose probablement vraie, qu’il est négligeable, ne fut-ce que par l’exemple qu’il donne.

Une précaution est de limiter sans se l’interdire le hors sentier dans les lieux fréquentés (davantage pour la faune ou les habitants que pour la flore), d’autant plus que bien des espèces se trouvent au bord du chemin. Le débutant a certainement plus d’un millier d’espèces à découvrir sans sortir des chemins et même des routes ! Quant à la photographie, elle est plus facile dans un milieu dégagé, où les autres végétaux sont tassés, qu’au milieu de folles graminées ou de ronces.


 

Réf. 110405-179.
Tulipa sylvestris subsp. australis. Cueillir une fleur a peu d’importance pour elle, si ce n’est que les fleurs choisies étant les plus visibles, la cueillette exerce une forte pression. Cependant, le plus important est de penser aux autres promeneurs, et de leur laisser la beauté.
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Et même si vous n’êtes plus débutant, au lieu de rager, de retour d’une escapade harassante en montagne par pierriers et crêtes, parce que vous trouvez l’espèce rare au bord d’un chemin fréquenté, constatez que votre Graal était à portée de la vue du promeneur ! Dans les dunes, toutefois, il est souvent préférable de circuler un peu partout plutôt que dans les sentes fréquentées, afin de limiter l’impact du piétinement excessif, tout en favorisant l’ouverture du milieu ; mais, il est bon alors de connaître le milieu, afin de ne pas le perturber.

Même dans les sentiers, vous traverserez le plus souvent des propriétés privées. Tout appartient à quelqu’un, et rarement à la commune ; ou alors à l’état pour les réserves et surtout les forêts domaniales, qui font l’objet d’une réglementation spéciale, avec souvent interdiction de marcher hors sentier.

Il n’y a pas toujours droit de passage. Mais, quand bien même il y aurait ce droit, n’argumentez pas sur le mode juridique : respectez un propriétaire peut-être lassé d’une fréquentation que vous ne soupçonnez pas. Si vous discutez avec lui, après être sorti de chez lui et non avant, il est possible qu’il vous autorise à passer, voire vous montre un lieu que vous ne connaissiez pas.

Que ce soit sur un chemin ou hors-sentier, si vous voyez quelqu’un qui ne ressemble pas à un promeneur, c’est peut-être le propriétaire ou un habitant, allez le voir, dites-lui bonjour et demandez-lui si vous dérangez.

Dans la plupart des cas la personne sera ravie de votre attitude et, si vous dérangez, vous dira quoi faire, vous proposera une autre place de parking ou un autre itinéraire. En discutant, intriguée par votre passion mais s’y trouvant des points communs, elle vous donnera des indications parfois intéressantes (souvent fantaisistes, il faut le reconnaître) ou bien vous autorisera à aller dans des endroits fermés ou que vous ne connaissiez pas.

N’entrez pas dans une propriété, même par un chemin, lorsqu’un panneau en interdit l’accès : si la règle est la libre circulation de tous, qui est le principe du Code rural, elle est assortie de la possibilité qu’a tout propriétaire d’empêcher l’accès à tout ou partie de ses terres. Vous pouvez le déplorer, faites-le en bon démocrate (dans les urnes, en association ou sur internet), et laissez le propriétaire à son bon droit : vous ne feriez que le braquer, et braquer ses voisins.

Même sans panneau, le passage dans un jardin est interdit, sauf s’il est au bord de l’eau. De même le passage près d’une maison, en dehors de la voie de circulation.

Une clôture peut être franchie, pas un mur sauf s’il est effondré. Préférez bien sûr passer par la porte ou la barrière, même si vous devez faire un détour, vous trouverez peut-être quelque chose. Refermez soigneusement après votre passage.

Si vous passez une clôture, faites-le plutôt par en-dessous : c’est plus discret et moins traumatique pour le propriétaire qui vous verrait, et craindrait pour l’état de son installation (sauf lorsque vous pouvez enjamber sans avoir à vous tenir). En effet, bien des poteaux de clôture sont abîmés par des personnes qui montent dessus sans s’assurer au préalable de leur solidité. Si aucune autre solution ne se présente que de passer par-dessus la clôture, choisissez un endroit près d’un arbre (pour vous y appuyer) ou alors, bien solide.


 

Réf. 110407-024.
Noix de terre (Bunium bulbocastanum). Arracher pour déterminer est parfois nécessaire, mais il est préférable de l’éviter. Apprendre via une association évite des prélèvements inutiles. Quant aux herbiers, lasisez-les aux scientifiques et faites plutôt des photos !
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Si une personne, même un touriste, vient vous voir et vous pose des questions, ne la chassez pas d’un air courroucé, même si vous préférez être tranquille. Pensez à l’avenir de la botanique et de la nature en général, qui a besoin que de plus en plus de personnes s’y intéressent, et parlez de votre passion. Si vous faites partie d’une association, c’est le moment d’en parler et d’inviter le promeneur à y participer.

Ne colportez pas l’idée qu’il ne faut pas cueillir de fleurs, car c’est le plus souvent un non-sens scientifique. Un végétal repousse, il survit à la dent des moutons, et il est même potentiellement éternel. Il est plus pédagogique de demander aux gens de ne pas cueillir les belles fleurs afin de les laisser pour les autres, en parlant de beauté, ou de ne pas les cueillir quand il y en a peu pour que le prochain enfant qui passe se régale, et bien sûr d’insister pour ne pas prélever de bulbes (cause réelle de disparition d’espèces).

De même, si vous faites des photos, respectez le milieu par principe mais ne tombez pas dans l’angélisme de la nature. S’allonger par terre n’écrase pas les fleurs durablement, les piétiner n’est un problème que dans les milieux humides (et encore : les troupeaux passent au milieu). Arracher des herbes pour dégager une fleur ne causera pas de dommage aux herbes et peut même contribuer à aérer le milieu. Bref, quoi que vous fassiez en terme de respect, ne le faites pas pour de fausses raisons. Invoquer la science à tort ne fait que vous décrédibiliser, et surtout, décrédibiliser la protection de la nature en général (les opposants et les gens de mauvaise foi sont prompts à sauter sur de telles occasions).

Si on peut cueillir quand il y a un nombre suffisant d’individus, il en va tout autrement du déterrage de plantes.

Les botanistes à l’ancienne ne concevaient pas une sortie sans « récolte », entendez par là un arrachage systématique, surtout des plantes rares, pour les mettre en herbier. De nombreuses espèces se sont raréfiées du fait de cette déplorable habitude, rarement justifiée par des raisons scientifiques. Ne prélevez pas de plantes sauf quand vous êtes certain que c’est nécessaire pour l’identification, et à condition d’être sûr que l’espèce (que vous ne connaissez pas encore…) n’est ni menacée ni protégée.

Et même pour une espèce non menacée, ne prélevez qu’un échantillon parmi d’autres, abstenez-vous si vous ne trouvez que quelques pieds voire un seul (cas fréquent).

Ne faites pas un herbier, faites plutôt des photos, ou un fichier avec des photos récupérées sur internet (tant que c’est pour votre usage personnel, vous pouvez prendre toutes les photos que vous voulez). Si vous placez des plantes en herbier, ne le faites que pour des raisons précises dûment validées ; par exemple, le Conservatoire vous l’a demandé (c’est rare), ou bien une personne qui fait une étude dessus vous a mandaté (prélevez alors avec parcimonie), ou encore une plante est nouvelle pour un département et il faut que le Conservatoire confirme l’identification. Mais comment le savoir, si ce n’est en étant en rapport avec eux pour vos fonctions, ou plus probablement en participant aux sorties d’une association ?

Même si vous êtes solitaire, participer à une association ne vous apportera que des avantages, et vous pourrez faire profiter d’autres de vos connaissance ou découvertes. Les associations étant en rapport avec le Conservatoire, elles sont le bon endroit pour transmettre des informations (et d’abord, pour les valider).

Rappelez-vous que protéger, c’est connaître et faire connaître (ma devise), ce qui suppose de partager avec d’autres. Et ce qui suppose éviter d’interdire et de braquer : la discussion est toujours préférable.

Enfin, et bien entendu, ne laissez pas de déchets, évitez de faire du bruit (en groupe, c’est plus difficile voire impossible), dépensez le moins d’essence possible. Cependant, ne vous transformez pas en ayatollah de la protection, il n’y a rien de plus contre-productif : laissez chacun en paix avec sa conscience, contentez-vous d’apporter votre témoignage et vos éventuelles connaissances. Si vous vous sentez une âme de militant, faites le dans un cadre approprié, et soyez discret le reste du temps. Notamment avec les enfants, préférez l’éducation à la tentation de convaincre.

En deux mots, soyez simplement courtois et responsable !

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